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16 mai 2022Les origines de l’importation privée
Selon David Doucet, à la tête de l’agence Roucet, l’histoire remonte à 1976 avec le père de David, Alain Doucet qui a habité en France, près de St-Émilion lors d’un échange d’enseignants. Il s’est alors bâti un réseau d’amis qui échangeaient sur la culture du vin à table. Il est revenu au Québec en 1977. À cette époque, la SAQ n’offrait pas autant de produits qu’aujourd’hui. Plusieurs amis lui disaient :’’pourquoi tu n’importes pas mes vins ? ‘’
C’est ensuite entre 1980-1985 qu’un ami d’Alain Doucet qui deviendra son partenaire d’affaires, Robert Rousseau, qui était dans le domaine de la vente, marié à une Italienne et qui trippait voyages lui aussi et… qui avait un contact à la SAQ pour les diriger à travers les méandres de la SAQ. L’importation privée n’existait pas à ce moment. Il y avait quelques clubs de vin, comme celui de la ‘Goutte d’Or de Michel Phaneuf, où la SAQ faisait de la prévente… Avec la SAQ, Alain et Robert (Doucet et Rousseau) ne pensaient pas que ça allait marcher!
L’importation privée a toujours été liée de près à la restauration. Au milieu des années 80, il y avait un besoin de la part de la restauration, des restaurateurs trippeux qui cherchaient des vins triés sur le volet… Ils trouvaient souvent leur compte dans le réseau de la SAQ avec des produits de spécialités par lot, mais l’approvisionnement était (et est toujours difficile) puisqu’il s’agit de lots commandés par la SAQ. Avec les importations privées, les agents et leurs producteurs ont l’avantage de gérer leurs arrivages, les quantités, les commandes et les ventes. La SAQ avait accepté de mettre en place un processus, mais leur avait dit : ‘’attachez-vous pas trop à votre business, ça ne va pas durer!’’ – c’était perçu, à l’origine, comme un petit caillou dans la chaussure de la SAQ. Mais au fil du temps, ils ont laissé aller et aujourd’hui, les importations privées sont on ne peut plus dynamiques.
Aujourd’hui, les membres d’A3 Québec représentent près de la moitié des ventes d’importation privée.
Au début, l’importation privée, c’était pour les restaurateurs et une clientèle de collectionneurs. Aujourd’hui, l’importation privée s’est démocratisée et rejoint un grand nombre de consommateurs. Les modes de communication ont grandement contribué à cet essor : on est passé des commandes téléphoniques, aux courriels et infolettres à des sites d’agent carrément transactionnels. Les 5 dernières années ont été très florissantes et avec la pandémie de COVID-19, l’évolution du comportement des consommateurs, l’intérêt pour l’importation privée a explosé. En effet, pour Roucet, qui envoie des infolettres à ses clients chaque semaine, la pandémie lui a permis de tripler sa clientèle, par le bouche-à-oreille. Ils ont une sélection incroyable et leurs clients leur sont fidèles parce qu’ils ont confiance en ces agents, qui effectuent un travail de sélection. Chez Roucet, on ne passe jamais un vin moyen à notre clientèle. ‘’Nous sommes condamnés à donner du bon vin pour faire honneur à la marque Roucet’’, rigole David Doucet. Parlant de marques, des agents comme Rezin, La QV, Boires, Symbiose, Balthazard, etc. sont aussi reconnues comme des marques où les clients se reconnaissent.
Durant la pandémie, plusieurs agents ont fait preuve d’une grande créativité et proactivité. Leurs principaux clients (les restaurateurs) étaient fermés, les entrepôts de la SAQ étaient pleins à craquer, il fallait faire sortir les vins. La SAQ a permis temporairement aux agents de proposer et livrer des caisses panachées (mixtes) d’importation privées. C’était une superbe idée, qui a permis de développer une nouvelle clientèle et d’écouler des vins, mais qui a généré beaucoup de travail car les agents devaient assembler et livrer toutes les commandes eux-mêmes! C’était un beau casse-tête, qui a permis à plusieurs de faire preuve de créativité en proposant des caisses thématiques.
À quoi servent les importations privées ?
C’est soit une entrée sur le marché, soit une destination. Certains produits entrent sur le marché en importation privée pour tester le marché, et éventuellement accéder aux succursales SAQ. Dans ce cas, les importations privées sont perçues comme une sorte de pépinière. Dans d’autres cas, les produits sont destinés à demeurer des importations privées, parce que ce sont des produits nichés…
Pour Roucet, et certaines autres agences, passer de l’importation privée vers le réseau de la SAQ, c’est un peu perdre le contrôle de l’approvisionnement. Chez Roucet, dans certains cas, on souhaite garder certains produits en importation privée. ‘’Ces vins, ce sont nos bébés, on ne veut pas les laisser aller!’’
Une industrie complémentaire, qui arrive à maturité
Francis Martin est à la tête de l’agence le Maitre de Chai, fondée par son père Gilles dans les années 90, sous inspiration du modèle Roucet dont il était client particulier à l’époque. Grand amateur de vins, Monsieur Martin a effectué un changement de carrière, suivant sa passion de longue date et son désir de vivre l’entreprenariat. Selon Francis, notre industrie arrive à une belle maturité, plusieurs agents sont bien établis depuis quelques décennies et ont même au fil du temps développé des amitiés entre eux, ainsi qu’une philosophie de collaboration et partage.
Pour Francis, les importations privées ont beaucoup évolué en 30 ans. Il demeure toujours une certaine notion d’exclusivité, certains produits étant destinés à demeurer des importations privées vu les faibles quantités disponibles, des clientèles déjà fidélisées ou des positionnements privilégiés en restauration. Mais c’est bien plus que ça aujourd’hui. C’est avant tout une industrie complémentaire au réseau de la SAQ, un canal de distribution parallèle qui vient répondre à des besoins spécifiques du marché, nécessitant une gestion détaillée et une motricité fine que, étant donné sa nature et son ampleur, le réseau SAQ ne peut pas combler.
Avec l’importation privée, contrairement aux arrivages en SAQ, l’agent a un contrôle sur les quantités et la distribution spécifique des produits. Les restaurateurs cherchent aujourd’hui plus que jamais des vins de qualité, peu importe le canal de distribution. Le réseau de la SAQ en a évidemment plusieurs à offrir (c’est un euphémisme!), mais le restaurateur souhaite également être servi avec continuité. C’est là que l’approvisionnement par lot en réseau SAQ, dont une forte majorité de produits bénéficient d’un seul arrivage par année, ne répond pas à ce besoin. La majorité des restaurateurs ne peuvent effectuer de grandes réserves une fois par an pour s’assurer d’avoir un produit sur une période prolongée, pour des raisons économiques évidentes mais également souvent faute d’espace d’entreposage. C’est là que les agences, via leurs importations privées, répondent à un besoin spécifique des restaurateurs en complémentarité du réseau SAQ.
En plus de cette motricité fine dans la gestion des inventaires, les agents apportent une personnalisation et une valeur ajoutée au service avec une proximité plus intime des produits et des producteurs qui se cachent derrière. Ce lien plus direct permet une connaissance très fine des produits qui se transpose pour le client, tant restaurateur que particulier, en un service plus pointu comme on peut trouver en Europe chez un caviste par exemple. Il existe une clientèle qui cherche cette valeur ajoutée, autre exemple d’un besoin du marché comblé par les importations privées en complémentarité du réseau SAQ.
Francis souhaite également briser le mythe du restaurateur qui utilise les importations privées pour pouvoir vendre à des prix plus élevés. Jadis, on disait que les restaurateurs proposaient des importations privées à leur carte des vins pour faire de grosses marges car les clients ne pouvaient connaître la réelle valeur de ces vins. C’était en partie vrai à une époque, mais aujourd’hui tout se trouve sur internet, les consommateurs sont bien avisés et peuvent trouver facilement la valeur d’un vin. La vaste majorité des restaurateurs utilisent les importations privées pour démarquer leur offre, mettre en valeur des découvertes, et surtout parce que les agents leur donnent accès des approvisionnements plus simples et plus efficients.
En route vers le réseau SAQ
Selon Jean-Philippe Lefebvre, à la tête de l’agence Rezin qui existe depuis 25 ans. Ils ont rapidement réalisé que leur force de communication leur permettait de réaliser des volumes relativement importants en importation privée. On dit même que Rezin est un des précurseurs au niveau du vin nature au Québec…
Certains pensent que l’agence Rezin est une agence d’importation privée, mais actuellement leur portefolio est 90% en SAQ, 10% en importation privée. Pour Jean-Philippe, l’importation privée a différents avantages : c’est un outil pour se faire connaitre, qui permet de développer des relations avec des fournisseurs et avec une clientèle de restaurateurs et graduellement, tester des produits pour les amener dans le réseau SAQ. L’importation privée, c’est aussi un système plus flexible et agile quand il s’agit de petits lots.
Dans certains cas, les importations privées servent de pépinière pour tester le marché. Dans d’autres cas, c’est le côté sexy de l’importation privée qui attire les restaurateurs et les agents développent leur image de marque, un peu comme des cavistes, via la restauration. Jean-Philippe réitère ce que Francis et David ont dit : les importations privées, ça permet aux agents d’offrir un service à la clientèle que la structure de la SAQ ne permet pas. C’est un service personnalisé pour les restaurateurs et certains clients très nichés.
COVID-19 et importations privées
La pandémie aura permis une réflexion et un enseignement quant au travail des représentants. Ça aura aussi fait réaliser l’importance qu’ont les restaurateurs. Le consommateur a aussi changé son comportement d’achat et a découvert que l’importation privée est beaucoup plus accessible qu’il ne le croit. Certes, il y a eu les caisses panachées mais le consommateur est aussi au rendez-vous pour des caisses complètes et il dépense plus qu’on ne le croit. Cela dit, pour Rezin, l’importation privée n’est pas une grosse part de revenus, c’est plus un outil relationnel.
Un marché en évolution
Il était facile de se faire une niche avant. Aujourd’hui, la tendance importation privée est très forte. Il y a beaucoup d’agences et de choix par rapport à la capacité du marché. Il est donc important, pour se démarquer, de miser sur une offre originale, de constante qualité et d’offrir un service à la clientèle hors pair.
Cela dit, Jean-Philippe et ses pairs soulignent qu’il y a une belle camaraderie entre agents au sein de notre industrie. ‘’Nous sommes tous des compétiteurs, mais nous ne jouons pas (encore) dans la cour des grands. Nous devons nous soutenir et partager une partie de nos expériences. Il y a réellement une sorte de bienveillance et de réciprocité entre les agents. ‘’
Une zone d’expression libre
Pour Cyril Kérébel, à la tête de l’agence La QV, les importations privées, c’est avant tout une zone de découverte. Son agence a déjà 15 ans et à l’origine, il avait un seul produit listé à la SAQ, ce qui lui permettait de faire de l’importation privée. Il était sommelier et les importations privées, c’était sa ‘’zone d’expression libre’’. Il trippait sur les vins bio, biodynamiques et de vinification naturelle. Lui et ses collègues étaient vus comme des marginaux. Ils étaient proches de la restauration. Ça lui a permis de grandir.
Le marché a changé depuis. Les portes de la SAQ se sont ouvertes et il y a eu un intérêt pour les vins qui le faisaient tripper 15 ans avant, bio, biody, nature, c’était nouveau pour la SAQ, mais pas pour ces agents.
‘’L’importation privée, ça permet d’aller chercher de petits vignerons et de tester le marché.’’ Pour Cyril, chaque producteur a sa destination, soit il reste en importation privée toute sa vie, soit l’importation privée lui sert de pépinière pour accéder au réseau SAQ. Les services qu’offrent les agences sont complémentaires à ceux qu’offre la SAQ. ‘’Les agents partent avec leur petit sac à dos et sillonnent le monde à la recherche de vins, à leur frais, par passion. Ils contribuent à la diversité de l’offre au Québec.’’ Aujourd’hui, les importations privées sont beaucoup plus accessibles pour les consommateurs. Plusieurs agences ont même un site transactionnel qui permet de commander.
Des importations privées pour tous les goûts et budgets
Selon Charles Landreville à la tête de l’agence Boires, il faut casser le mythe que les importations privées, ça coûte plus cher. Pour des agences comme la sienne et ses clients restaurateurs, il n’est jamais question de flouer le consommateur qui est d’ailleurs très avisé de toute manière. Pour Boires, les importations privées, c’est entre autres un moyen de faire découvrir de nouveaux produits. Selon Charles, le canal n’a pas d’importance, que ce soit en importation privée ou sur les tablettes de la SAQ, ce sont des produits de qualité, au juste prix! Selon lui, il y a deux grands groupes de vins d’importations privées chez les vignerons : les vins accessibles issus de jeunes vignes et les vins haut de gamme, issus de plus vieilles vignes.
Pour Charles aussi, les importations privées servent souvent de pépinière pour faire entrer des produits sur le marché. Cependant, l’accès au réseau de la SAQ vient un lot de défis et une quasi- totale perte de contrôle sur l’approvisionnement, la distribution et les quantités.
Les grands font aussi partie de l’équation
Pour de plus grosses agences, comme Univins, qui fait partie du Groupe Dandurand, l’importation privée représente 2% de leur chiffre d’affaires. C’est vraiment un moyen de tester le marché, de bâtir des marques. Pour eux, l’objectif est presque toujours de référencer les produits dans le réseau SAQ. Ils présentent donc toujours leurs produits à la SAQ et s’ils ne répondent pas aux besoins immédiats du monopole, ils les font venir en importation privée. Cela permet de démontrer à la SAQ que certains produits ont le potentiel de faire des volumes importants.
Il s’agit aussi d’étendre la gamme de certains producteurs qui ont d’autres produits à la SAQ avec des produits différents en plus petite quantités. L’importation privée permet à Dandurand de développer une relation avec leurs fournisseurs mais aussi avec la restauration. C’est même, selon Alexandre Gauthier de Dandurand, la restauration qui dicte la stratégie d’importations privées de l’agence. Chez Groupe Dandurand, Univins et Dandurand, les deux agences du groupe font de l’importation privée, majoritairement pour bâtir des marques et offrir des produits exclusifs à la restauration. Le volet consommateur est couvert par leur boutique Galleon, avec une sélection de produits vraiment destinés à une clientèle amateure, voire collectionneurs.
Un segment fleurissant!
Chez Sélect Vins aussi, les importations privées sont présentes, mais elles demeurent anecdotiques si on compare aux volumes totaux de cette agence nationale qui célébrera son 40e anniversaire cette année. Il y a 12 ans, Sélect Vins ne faisait même pas d’importation privée. Aujourd’hui, l’agence se sert de ce précieux outil pour faire rayonner et élargir la visibilité de ses marques. S’ils font de l’importation privée, c’est surtout parce qu’ils croient en les produits de leurs fournisseurs et pour répondre à un besoin de la restauration. Certaines marques ont des objectifs nationaux et l’importation privée leur permet de les atteindre. Selon Hélène Arsenault, directrice des opérations chez Sélect Vins, l’importation privée permet de créer, d’étendre certaines marques et de donner de la visibilité sur le portefolio complet d’un fournisseur.
La pandémie a permis à certaines agences comme Sélect Vins de développer une relation avec les consommateurs, de leur donner un accès privilégié à certains produits, via l’importation privée. Sélect Vins a d’ailleurs acquis, en janvier 2020 Lifford Wines, un des pionniers de l’importation privée en Ontario. Cela leur permet de développer une expertise toute nouvelle. Comme ses collègues, Hélène Arsenault mentionne l’utilité des sites transactionnels pour rejoindre directement les consommateurs, s’en rapprocher et éventuellement leur offrir des produits selon leurs goûts. Comme dans tous les domaines, la tendance est au service personnalisé.
Dans le cas des grosses agences comme Sélect Vins ou le groupe Dandurand, l’importation privée n’est pas une source importante de revenus mais un service et une visibilité additionnelle.
L’importations privée, comment ça marche ?
Au Québec, la loi indique que seule la SAQ est autorisée à importer des boissons alcooliques. C’est aussi la SAQ qui entrepose, transporte et vend les boissons alcooliques. En amont, l’agent a pour rôle de dénicher les produits. Une fois la commande d’importation privée faite par la SAQ, l’agent est responsable financièrement d’écouler l’inventaire commandé selon un délai déterminé par la SAQ.
À moins que ça n’ait été fait au préalable, l’agent propose les produits auprès de la restauration et des consommateurs. Une fois les clients intéressés à se procurer les produits, l’agent transmet la commande à la SAQ et cette dernière est acheminée à l’attention du client en succursale ou au restaurant. Afin d’assurer un service personnalisé, certains agents peuvent aller chercher la commande pour le client à l’entrepôt de la SAQ et la livrer au client.
Les produits sont offerts en caisses complètes uniquement et le paiement de la commande se fait à la réception.
Frais de service des l’agents
Si applicables, les frais de service de l’agence ne sont pas inclus dans le prix SAQ et peuvent être facturés séparément par l’agence. Ce sont les frais de service de l’agent qui justifient son travail de sélection des produits, service à la clientèle et risques financiers pris par l’agent. Ce sont parfois des frais fixes ou un % du prix de la caisse. Ces frais sont payés directement à l’agent alors que les bouteilles, elles sont payées à la SAQ.
Un immense merci aux agences interviewées
Roucet, Le Maître de Chai, La QV, Rezin, Boires, Groupe Dandurand et Sélect Vins